samedi 3 octobre 2015

Poésie et illustration 15: Ballade des pendus de Villon

Frères humains...


Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

G lemercier
La Ballade des pendus ou Epitaphe Villon est peut-être la pièce la plus connue du poète. Reprenant le motif littéraire et pictural du transi ou du squelette, le poème est un discours d'un mort aux vivants, tel qu'on pouvait le croiser dans les danses macabres. De ce genre, on retrouve aussi les descriptions précises et volontiers macabres des corps pourrissants.

Villon ajoute à ces clichés une dimension humaniste : le mort est un condamné qui appelle le passant à la clémence tout autant qu'à la méfiance face à la mauvaise vie qui peut mener au gibet. On évoque bien souvent le côté biographique de la pièce, Villon étant un débauché notoire qui connaitra de nombreux problèmes qui le conduiront en prison plus d'une fois. Mais comme souvent, le sérieux de la pièce est à interroger : l'image finale du dé à coudre rabaisse le pathétique du pendu, montrant tout le jeu de l'artiste avec les clichés littéraires et génériques.

1 commentaire: