mercredi 30 avril 2014

Expo Genji's world in Japanese woodblock prints, Morikami Museum, Floride (USA)

Un roman illustré...


Le dit du Genji ou Genji monogatari est une œuvre qui comporte 54 chapitres et qui narre les aventures amoureuses d'un fils d'Empereur. A travers ce personnage, l'auteur, Murasaki Shikibu, dépeint le monde de la cour qu'elle connait bien. Très vite, le roman connait un succès imposant et les diverses parties vont être retranscrites et illustrées par un nombre croissant d'artistes.
 
L'ouvrage, dès le XIIème siècle, devient un monument littéraire à tel point que chaque chapitre, chaque héros deviendra le support d'œuvres ou d'activités qui passeront de la cour d'Heian à la bourgeoisie d'Edo, comme les concours d'encens qui reprennent chaque titre de chapitre; car même après plusieurs siècles, le succès ne se dément pas. 
 

Le monde de l'estampe et du livre n'est pas en reste. Outre les versions illustrées et les peintures, le XIXème siècle connaitra un succès croissant du héros et de ses représentations. Si le succès est tel, il le doit en partie à une parodie célèbre Le Genji campagnard qui est écrite par Ryutai Tanehiko dans les années 1820. Le prince amoureux laisse place à un séducteur sans vergogne qui multiplie les conquêtes amoureuses, permettant une prolifération des passages érotiques. Les héroïnes engoncées dans leur kimono laissent place à des beautés à la nudité largement décrite par l'auteur.


De même, les épisodes où le surnaturel intervient vont se multiplier: le chapitre du Yugao avec le fantôme de Dame Rokujo donnera lieu à l'un des sommets de cette narration surnaturelle : l'esprit de l'amante défunte se transformant en démon fou de désir et torturant la jeune Yugao.


De tels épisodes connaitront une telle popularité que le kabuki s'emparera de certains moments afin d'en tirer quelques scènes ou danses qui attireront un public très nombreux jusqu'à la fin du XIXème siècle.

 
 
Pour comprendre les illustrations du roman et leur évolution, rendez-vous jusqu'au 18 mai 2014 :
http://www.morikami.org/exhibits/in-the-galleries/?link=IntheGalleries

mardi 29 avril 2014

Hyakunin Isshu 54

Gido-sanshi no haha



Vous faites serment
de ne jamais m'oublier
mais le tiendrez-vous
ah puisse ma vie plutôt
s'achever ce jourd'hui même...


Le lutteur de sumo Jirokichi est soigné par sa femme Otowa, une nuit avant un match important : le sportif a promis de perdre la rencontre afin de gagner une certaine somme d'argent, en vue de remettre 200 ryo à son maitre, nécessaires au rachat de celle qu'il aime. Otowa, ne voulant pas qu'il ternisse sa réputation, s'est vendue à une maison de passe afin d'obtenir la somme. Elle ne dit rien à son mari et cette préparation est en fait les derniers moments que le couple pourra passer ensemble.
 
Cette situation fait écho au serment de ne jamais oublier l'autre : le personnage d'Otowa peut aussi espérer que cette nuit soit la dernière, à la manière de la voix du poème. La nuit qui prend fin, c'est le réveil douloureux à la réalité et à un certain poids de la nécessité sur l'être de sentiments et de désirs.

 
La beauté de Kunisada tient entre ses mains un shô, orgue à bouche traditionnel dans la musique de cour de l'ère Heian. Cet instrument qui permet de grandes variations de son peut symboliser la variation des sentiments évoquée dans le poème. Se détournant de l'objet, la jeune femme peut signifier la négation de cette variation comme l'y invite la voix poétique.
 



lundi 28 avril 2014

Expo Jardins intérieurs, Mandin, Musée Chabaud, Graveson (13)

Onirisme et expression...

 
Artiste marseillais, Richard Mandin va traverser le XXème siècle et se faire l'écho de nombreux courants artistiques. Amoureux de la couleur, il ose une palette vibrante et les liens avec le Fauvisme et l'Expressionnisme sont tout à fait apparents. Ainsi ses nombreux oiseaux qu'il peint à des fins esthétiques et poétiques, l'oiseau revêtant le rôle du messager entre monde visible et imaginaire : 

 
Car c'est bien le rêve et un certain monde intérieur qui intéresse l'artiste. A ce titre, certaines de ses toiles peuvent faire penser à Redon pour le côté onirique et parfois mystérieux des figures mises en scène à l'intérieur du cadre du tableau. 

 
Dans une recherche perpétuelle, Mandin module son style. Peintre et aussi pianiste, il est réceptif aux vibrations nouvelles comme peut l'être un musiciens aux sons nouveaux. Toujours en quête de sens, il utilise les thématiques religieuses et s'empare des scènes traditionnelles afin de leur donner de nouvelles textures.  
 
 

Un peintre à découvrir jusqu'au 9 juin 2014 :
 http://www.museechabaud.com/expositions-musee-auguste-chabaud.php

mercredi 23 avril 2014

Le Crépuscule des dieux 3 : les Filles du Rhin


Ondines et désir


Prologue à la Tragédie qui va se jouer, la scène des Filles du Rhin présente les trois soeurs, Woglinde, Wellgunde et Flosshilde en train de s'amuser à la lumière de l'Or. Gardiennes du précieux trésor, elles incarnent la sensualité libre, à la fois innocente et provocante. Tour à tour, fillettes aux jeux inconséquents ou femmes à la beauté provocante, elles insufflent une énergie qui met en branle le drame :

Or du Rhin
Joie lumineuse
que tu ris, claire et sublime!
Eclat incandescent
émane saintement de toi dans les eaux!



Ce désir qu'elles personnifient, le nain Alberich va l'éprouver dès son entrée dans le jeu du destin. Se moquant de sa maladresse et de sa difformité, les Filles du Rhin mettront tous leurs charmes en avant afin de déstabiliser l'être désirant.


Comprenant la perfidie des esprits aquatiques, Alberich se tournera ainsi vers l'Or, faisant de la matière qui était synonyme de lumière et de liberté un matériau de malheur et de pesanteur. Pour s'en emparer, le futur possesseur doit renoncer à l'amour. Qu'à cela ne tienne, de dépit et de rage, le nain maudit le désir et se rend maitre de l'Or qui deviendra l'Anneau maudit.

                                                                                       (oeuvres de G Lemercier)

 Comprenant trop tard leur erreur, les filles du Rhin métamorphoseront leur chants joyeux en une plainte aux dieux qui ne cessera de raisonner jusqu'au Crépuscule final, moment où enfin l'Or leur sera rendu.

lundi 21 avril 2014

Expo Marguerite Duras, Hélène Bamberger, Médiathèque Tarentaize, St Etienne (42)

Des souvenirs intimes...


A l'occasion du centenaire de la naissance de Duras, la médiathèque de St Etienne organise une série d'événements autour de ce monstre littéraire du XXème siècle. Outre des lectures et des visionnages de films de l'auteur, est présentée une exposition d'H. Bamberger qui est devenue une intime de Duras à partir de 1980.


Les deux femmes se rencontrent à Trouville et rapidement la photographe va entrer dans l'intimité de l'écrivain et mettre en images les différents lieux que Duras habite et aime. Loin des clichés officiels qui camperont une Duras en statue d'intellectuelle, ces oeuvres dépeignent une femme plus humaine qui a un contact charnel avec les endroits qui semblent faire partie d'elle-même.


Un moment aux côtés de l'écrivain, à la manière d'une promenade sans fard mais pas sans émotion.
A voir jusqu'au 26 avril :
http://www.bm-st-etienne.com/AgendaCulturel/portal/Event.aspx?INSTANCE=EXPLOITATION&ID=1004

samedi 19 avril 2014

Expo A la lumière du Calixtinus, Hôtel Dieu, Le Puy en Velay (43)

Enluminures et Camino...


 L'Hôtel Dieu présente une exposition autour du Codex Calixtinus, joyau du XIIème siècle conservé à St jacques de Compostelle. Le manuscrit, écrit sur presque un siècle, se scinde en 5 parties : présentant des prières et des commentaires religieux, le livre contient aussi des parties plus originales. Tout d'abord, la troisième partie qui se centre sur la figure de Charlemagne et suit les traditions littéraires qui dérivent de la Chanson de Roland. C'est donc un véritable hymne à un héros romanesque qui est contenu ici, essayant de renforcer l'influence de Compostelle comme lieu appartenant à la geste de l'Empereur.

Une autre partie se montre primordiale pour l'histoire de la musique occidentale. Le codex contient nombre de feuillets musicaux qui présentent les premières transcriptions connues de chants polyphoniques :


A travers les textes, les marges et enluminures de très belle qualité, la légende de St Jacques et de ses reliques est amplifiée et illustrée de manière à inscrire le lieu dans la mémoire religieuse du XIIème siècle. 
Enfin, le livre Cinq est bien connu car il est le premier texte à décrire par le menu le chemin de St jacques avec ses arrêts, stations; bref, il s'agit d'un véritable guide du pèlerin qui inspirera la plupart des textes postérieurs en la matière...


 Quelques oeuvres contemporaines viennent faire écho au texte ancien, reliant monde médiéval et contemporain au travers des légendes de Compostelle.

A découvrir jusqu'au 11 mai 2014 :
http://www.hoteldieu.info/fre/actualites/exposition---a-la-lumiere-du-calixtinus-le-codex-de-saint-jacques---1er-mars--11-mai-84.htm

mercredi 16 avril 2014

Hyakunin Isshu 56

Izumi Shikibu


 

Pour me souvenir
de vous lorsque de ce monde
je ne serai plus
puissé-je une fois encore
vous revoir en cette vie



L'oeuvre de Kuniyoshi met en scène un célèbre personnage du dit des Heike : Kagekiyo. Repris par le répertoire noh et kabuki, le héros est dépeint dans une posture d'attente. Il regarde une bannière qui est celle de son ennemi Yoritomo. 

Après avoir essayé de le tuer à plusieurs reprises et avoir échoué, Kagekiyo tente une dernière fois, sous un déguisement, de pourfendre son adversaire. Le jeu de mot sur "revoir" par rapport au texte de Shikibu est à comprendre de plusieurs manières. Tout d'abord, c'est le désir de rencontrer et tuer Yoritomo qui est mis en avant mais pour le public averti, ce terme annonce le dénouement de la pièce : Kagekiyo échoue encore une fois et s'aveugle.

L'estampe imbrique ainsi la passion dépeinte dans le texte médiéval à l'aveuglement de la vengeance qui se meut en un sentiment intense et violent que le personnage, son aspect et son attitude expriment de manière expressive.


Dans la série des Beautés de Kunisada, le texte est accompagné par une jeune femme qui porte un biwa, instrument à cordes traditionnel. Le plectre est à terre et la jeune femme semble pensive, occupée par quelque idée ou sentiment évoqués par la musique. Bien sûr, cette référence n'est pas anodine car si la comparaison se fonde sur le dit des Heike, ce texte est bien souvent récité au son du biwa :


Par ces comparaisons, sentiment amoureux et élan guerrier semblent deux états paroxystiques qui mêlent vie et mort, transcendant les êtres et leur nature.

mardi 15 avril 2014

Expo Jungle-city and co, A Roux, La Serre, St Etienne (42)


Dans la jungle du collage...




Anthony Roux est un artiste autodidacte qui nourrit son travail des graphismes qu'il croise au fil de ses pérégrinations en France et dans d'autres pays. A travers ses voyages, il collecte des images, des affiches qu'il tente de faire revivre d'une manière à la fois ludique et graphique : 


Le monde animal est omniprésent; les créatures hybrides reflétant une société à la manière des caricaturistes du XIXème siècle. Les références aux courants pop ou à la world culture sont patentes dans la plupart des oeuvres :

Couleurs, noir et blanc, formats divers, Roux utilise une palette riche qui mêle culture populaire, références politiques ou religieuses. Le melting-pot ainsi créé met en résonance les idéologies et questionne notre société sur ses fonctionnements et ses modes de représentations sans oublier le côté ludique de l'art. 


Un univers cohérent et riche qui est à découvrir jusqu'au 24 mai :
http://kolart.fr/w/gallery/

dimanche 13 avril 2014

Stonehenge, Wiltshire (Uk)


Pierre et mystère...


C'est en plein coeur du Wiltshire, entre Londres et la partie ouest de l'île que l'on peut partir à la découverte d'un site à la fois connu de tous mais qui demeure un mystère à plusieurs titres.


Ensemble religieux et funéraire, Stonehenge (ou Pierre de pendaison) fut élaboré entre 4000 et 2500 avant JC. Le monument de pierre circulaire marque alors l'apogée d'un endroit qui fut vraisemblablement un sanctuaire lié au culte du soleil puisque les alignements se font en fonction de l'emplacement que l'astre prend durant les deux solstices annuels.

Toutefois, l'ensemble est plus vaste et de nombreux tumuli et chemins forment un espace assez cohérent qui n'a cessé d'évoluer jusque vers - 1500. Stonehenge demeure toutefois la pièce maitresse du site avec ces alignements de pierre qui peuvent provenir, pour certaines, du Pays de Galles situé à plus de 200 kilomètres; ce qui est pour le moins étonnant au regard de la technique existante à l'époque. Les efforts qui durent être faits afin de déplacer, travailler et ériger les pierres témoignent de l'importance du bâtiment qui sera mis en forme et utilisé pendant plus d'un millénaire.



Mais nombre de questions demeurent sans réponse et les cercles de pierre furent victimes de leur succès : au cours des siècles, ils attirent les regards et les croyances multiples qu'ils font naitre oblitèrent la réalité historique. Pierres de géant, tombe de Merlin ou sanctuaire sanguinaire, le site de Stonehenge ne cesse de faire appel aux imaginaires et fantasmes les plus nombreux.

Une très belle utilisation du mystère du site demeure la fin de Tess d'Urberville de Hardy : ayant tué son cousin et repartant avec Angel, Tess est poursuivie par la police. Le couple, perdu, se retrouve alors à Stonehenge, lieu prémonitoire du sacrifice que la société réclame, faisant de la jeune femme une victime de la morale victorienne :

"Though the sky was dense with cloud a diffused light from some fragment of a moon had hitherto helped them a little. But the moon had now sunk, the clouds seemed to settle almost on their heads, and the night grew as dark as a cave. However, they found their way along, keeping as much on the turf as possible that their tread might not resound, which it was easy to do, there being no hedge or fence of any kind. All around was open loneliness and black solitude, over which a stiff breeze blew.
They had proceeded thus gropingly two or three miles further when on a sudden Clare became conscious of some vast erection close in his front, rising sheer from the grass. They had almost struck themselves against it.
"What monstrous place is this?" said Angel.
"It hums," said she. "Hearken!"
He listened. The wind, playing upon the edifice, produced a booming tune, like the note of some gigantic one-stringed harp. No other sound came from it, and lifting his hand and advancing a step or two, Clare felt the vertical surface of the structure. It seemed to be of solid stone, without joint or moulding. Carrying his fingers onward he found that what he had come in contact with was a colossal rectangular pillar; by stretching out his left hand he could feel a similar one adjoining. At an indefinite height overhead something made the black sky blacker, which had the semblance of a vast architrave uniting the pillars horizontally. They carefully entered beneath and between; the surfaces echoed their soft rustle; but they seemed to be still out of doors. The place was roofless. Tess drew her breath fearfully, and Angel, perplexed, said----
"What can it be?"
Feeling sideways they encountered another tower-like pillar, square and uncompromising as the first; beyond it another and another. The place was all doors and pillars, some connected above by continuous architraves.
"A very Temple of the Winds," he said.
The next pillar was isolated; others composed a trilithon; others were prostrate, their flanks forming a causeway wide enough for a carriage and it was soon obvious that they made up a forest of monoliths grouped upon the grassy expanse of the plain. The couple advanced further into this pavilion of the night till they stood in its midst.
"It is Stonehenge!" said Clare.
"The heathen temple, you mean?"
"Yes. Older than the centuries; older than the d'Urbervilles! Well, what shall we do, darling? We may find shelter further on."
But Tess, really tired by this time, flung herself upon an oblong slab that lay close at hand, and was sheltered from the wind by a pillar. Owing to the action of the sun during the preceding day the stone was warm and dry, in comforting contrast to the rough and chill grass around, which had damped her skirts and shoes.
"I don't want to go any further, Angel," she said, stretching out her hand for his. "Can't we bide here?"
"I fear not. This spot is visible for miles by day, although it does not seem so now."
"One of my mother's people was a shepherd hereabouts, now I think of it. And you used to say at Talbothays that I was a heathen. So now I am at home."
He knelt down beside her outstretched form, and put his lips upon hers.
"Sleepy are you, dear? I think you are lying on an altar."

> un site intemporel et un nouveau musée à découvrir :
https://www.english-heritage.org.uk/daysout/properties/stonehenge/

mercredi 9 avril 2014

Expo Peter Halley, Mam, St Etienne (42)

Abstraction et sociologie...


2014 se définit sous le signe de l'abstraction et de la scène new-yorkaise des années 50 à nos jours au Musée d'Art Moderne. Plusieurs expositions occupent les lieux dont une rétrospective de Peter Halley. Né dans les années 50, l'artiste va contribuer au bouillonnement pictural de la ville et de l'Amérique dans les années 70.

Tenté par l'aspect sériel que la scène contemporaine va exploiter, Halley accentuera cette tendance en adoptant la figure géométrique, en référence aux grands courants artistiques de la première moitié du XXème siècle :


Très vite, il ajoutera des couleurs voyantes et toniques, en référence à la culture Pop que New York a enfantée. L'artiste ne tourne cependant pas le dos au noir, au blanc ou au gris : le contraste est aussi un élément important de cet art qui se veut un miroir de la société américaine.


 "J’ai tenté d’utiliser les codes du minimalisme, de la Color Field Painting et du constructivisme pour révéler la base sociologique de leurs origines. Après Foucault, je vois dans le carré une prison. Derrière les mythologies de la société contemporaine, un réseau camouflé de cellules et de conduits."

La série, la géométrie sont aussi les outils d'une pensée sociologique : la référence au carré, symbole de l'immeuble et de la prison est aussi celui d'une société occidentale qui déshumanise l'espace. La multiplication de la forme ou des couleurs agressives et dissonantes permet le glissement d'une représentation de la différence à celle d'un vide formel et sociétal.


Couleur et forme impriment un dictat dénué d'humanité à une société qui s'absente de la toile.

Jusqu'au 18 mai 2014 :
http://www.mam-st-etienne.fr/index.php?rubrique=30&exposition_id=248