dimanche 26 janvier 2014

le Crépuscule des dieux 2 : les Nornes

Les Nornes et le temps...
G Lemercier
Filles d'Erda, les Trois Nornes (Urd, Verdandi et Skuld) représentent à la fois le Passé, le Présent et l'Avenir mais sont aussi les déesses-tisserandes de la vie à la manière des Parques.

A contrario de leur pendant grec, les Nornes tissent  le destin des dieux et doivent arroser l'Arbre-Monde Yggdrasil afin qu'il ne meure pas. Elles sont donc les garantes de l'équilibre de l'univers ainsi que les gardiennes du Cosmos.

Ne jouant qu'un rôle secondaire dans les sagas nordiques, elles n'en ont pas moins inpiré les Arts comme ce poème de Leconte de Lisle issu des Poèmes Barbares :

La Légende des Nornes.



Elles sont assises sur les racines
du frêne Yggdrasill.

PREMIÈRE NORNE.


La neige, par flots lourds, avec lenteur, inonde,
Du haut des cieux muets, la terre plate et ronde.
Tels, sur nos yeux sans flamme et sur nos fronts courbés,
Sans relâche, mes sœurs, les siècles sont tombés,
Dès l’heure où le premier jaillissement des âges
D’une écume glacée a lavé nos visages.
À peine avions-nous vu, dans le brouillard vermeil,
Monter, aux jours anciens, l’orbe d’or du soleil,
Qu’il retombait au fond des ténèbres premières,
Sans pouvoir réchauffer nos rigides paupières.
Et, depuis, il n’est plus de trêve ni de paix :
Le vent des steppes froids gèle nos pleurs épais,
Et, sur ce cuivre dur, avec nos ongles blêmes,
Nous gravons le destin de l’homme et des Dieux mêmes.
Ô Nornes ! qu’ils sont loin, ces jours d’ombre couverts,
Où, du vide fécond, s’épandit l’univers !
Qu’il est loin, le matin des temps intarissables,
Où rien n’était encor, ni les eaux, ni les sables,
Ni terre, ni rochers, ni la voûte du ciel,
Rien qu’un gouffre béant, l’abîme originel !
Et les germes nageaient dans cette nuit profonde,
Hormis nous, cependant, plus vieilles que le monde,
Et le silence errait sur le vide dormant,
Quand la rumeur vivante éclata brusquement.
Du Nord, enveloppé d’un tourbillon de brume,
Par bonds impétueux, quatre fleuves d’écume
Tombèrent, rugissants, dans l’antre du milieu ;
Les blocs lourds qui roulaient se fondirent au feu :
Le sombre Ymer naquit de la flamme et du givre,
Et les Géants, ses fils, commencèrent de vivre.
Pervers, ils méditaient, dans leur songe envieux,
D’entraver à jamais l’éclosion des Dieux ;
Mais nul ne peut briser ta chaîne, ô destinée !
Et la Vache céleste en ce temps était née !
Blanche comme la neige, où, tiède, ruisselait
De ses pis maternels la source de son lait,
Elle trouva le Roi des Ases, frais et rose,
Qui dormait, fleur divine aux vents du pôle éclose.
Baigné d’un souffle doux et chaud, il s’éveilla ;
L’Aurore primitive en son œil bleu brilla ;
Il rit, et, soulevant ses lèvres altérées,
But la Vie immortelle aux mamelles sacrées.
Voici qu’il engendra les Ases bienheureux,
Les purificateurs du chaos ténébreux,
Beaux et pleins de vigueur, intelligents et justes.
Ymer, dompté, mourut entre leurs mains augustes ;
Et de son crâne immense ils formèrent les cieux,
Les astres, des éclairs échappés de ses yeux,
Les rochers, de ses os. Ses épaules charnues
Furent la terre stable, et la houle des nues
Sortit en tourbillons de son cerveau pesant.
Et, comme l’univers roulait des flots de sang,
Faisant jaillir, du fond de ses cavités noires,
Une écume de pourpre au front des promontoires,
Le déluge envahit l’étendue, et la mer
Assiégea le troupeau hurlant des fils d’Ymer.
Ils fuyaient, secouant leurs chevelures rudes,
Escaladant les pics des hautes solitudes,
Monstrueux, éperdus ; mais le sang paternel
Croissait, gonflait ses flots fumants jusques au ciel ;
Et voici qu’arrachés des suprêmes rivages,
Ils s’engloutirent tous avec des cris sauvages.
Puis ce rouge Océan s’enveloppa d’azur ;
La Terre d’un seul bond reverdit dans l’air pur ;
Le couple humain sortit de l’écorce du frêne,
Et le soleil dora l’immensité sereine.
Hélas ! mes sœurs, ce fut un rêve éblouissant.
Voyez ! la neige tombe et va s’épaississant ;
Et peut-être Yggdrasill, le frêne aux trois racines,
Ne fait-il plus tourner les neuf sphères divines !
Je suis la vieille Urda, l’éternel Souvenir ;
Mais le présent m’échappe autant que l’avenir.


DEUXIÈME NORNE.

Tombe, neige sans fin ! Enveloppe d’un voile
Le rose éclair de l’aube et l’éclat de l’étoile !
Brouillards silencieux, ensevelissez-nous !
Ô vents glacés, par qui frissonnent nos genoux,
Ainsi que des bouleaux vous secouez les branches,
Sur nos fronts aux plis creux fouettez nos mèches blanches !
Neige, brouillards et vents, désert, cercle éternel,
Je nage malgré vous dans la splendeur du ciel !
Par delà ce silence où nous sommes assises,
Je me berce en esprit au vol joyeux des brises,
Je m’enivre à souhait de l’arôme des fleurs,
Et je m’endors, plongée en de molles chaleurs !
Urda, réjouis-toi ! l’œuvre des Dieux fut bonne.
La gloire du soleil sur leur face rayonne,
Comme au jour où tu vis le monde nouveau-né
Du déluge sanglant sortir illuminé ;
Et toujours Yggdrasill, à sa plus haute cime,
Des neuf sphères du ciel porte le poids sublime.
Ô Nornes ! Échappé du naufrage des siens,
Vivant, mais enchaîné dans les antres anciens,
Loki, le dernier fils d’Ymer, tordant sa bouche,
S’agite et se consume en sa rage farouche ;
Tandis que le Serpent, de ses nœuds convulsifs,
Étreint, sans l’ébranler, la terre aux rocs massifs,
Et que le loup Fenris, hérissant son échine,
Hurle et pleure, les yeux flamboyants de famine.
Le noir Surtur sommeille, immobile et dompté ;
Et, des vers du tombeau vile postérité,
Les Nains hideux, vêtus de rouges chevelures,
Martèlent les métaux sur les enclumes dures ;
Mais ils ne souillent plus l’air du ciel étoilé.
Le mal, sous les neuf sceaux de l’abîme, est scellé,
Mes sœurs ! La sombre Héla, comme un oiseau nocturne,
Plane au-dessus du gouffre, aveugle et taciturne,
Et les Ases, assis dans le palais d’Asgard,
Embrassent l’univers immense d’un regard !
Modérateurs du monde et source d’harmonie,
Ils répandent d’en haut la lumière bénie ;
La joie est dans leur cœur : sur la tige des Dieux
Une fleur a germé qui parfume les cieux ;
Et voici qu’aux rayons d’une immuable aurore,
Le Fruit sacré, désir des siècles, vient d’éclore !
Balder est né ! Je vois, à ses pieds innocents,
Les Alfes lumineux faire onduler l’encens.
Toute chose a doué de splendeur et de grâce
Le plus beau, le meilleur d’une immortelle race :
L’aube a de ses clartés tressé ses cheveux blonds,
L’azur céleste rit à travers ses cils longs,
Les astres attendris ont, comme une rosée,
Versé des lueurs d’or sur sa joue irisée,
Et les Dieux, à l’envi, déjà l’ont revêtu
D’amour et d’équité, de force et de vertu,
Afin que, grandissant et triomphant en elle,
Il soit le bouclier de leur œuvre éternelle !
Nornes ! Je l’ai vu naître, et mon sort est rempli.
Meure le souvenir au plus noir de l’oubli !
Tout est dit, tout est bien. Les siècles fatidiques
Ont tenu jusqu’au bout leurs promesses antiques,
Puisque le chœur du ciel et de l’humanité
Autour de ce berceau vénérable a chanté !

TROISIÈME NORNE.

Que ne puis-je dormir sans réveil et sans rêve,
Tandis que cette aurore éclatante se lève !
Inaccessible et sourde aux voix de l’avenir,
À vos côtés, mes sœurs, que ne puis-je dormir,
Spectres aux cheveux blancs, aux prunelles glacées,
Sous le suaire épais des neiges amassées !
Ô songe, ô désirs vains, inutiles souhaits !
Ceci ne sera point, maintenant ni jamais.
Oui ! le Meilleur est né, plein de grâce et de charmes,
Celui que l’univers baignera de ses larmes,
Qui, de sa propre flamme aussitôt consumé,
Doit vivre par l’amour et mourir d’être aimé !
Il grandit comme un frêne au milieu des pins sombres,
Celui que le destin enserre de ses ombres,
Le guide jeune et beau qui mène l’homme aux Dieux !
Hélas ! rien d’éternel ne fleurit sous les cieux,
Il n’est rien d’immuable où palpite la vie !
La douleur fut domptée et non pas assouvie,
Et la destruction a rongé sourdement
Des temps laborieux le vaste monument.
Vieille Urda, ton œil cave a vu l’essaim des choses
Du vide primitif soudainement écloses,
Jaillir, tourbillonner, emplir l’immensité...
Tu le verras rentrer au gouffre illimité.
Verdandi ! Ce concert de triomphe et de joie,
L’orage le disperse et l’espace le noie !
Ô vous qui survivrez quand les cieux vermoulus
S’en iront en poussière et qu’ils ne seront plus,
Des siècles infinis Contemporaines mornes,
Vieille Urda, Verdandi, lamentez-vous, ô Nornes !
Car voici que j’entends monter comme des flots
Des cris de mort mêlés à de divins sanglots.
Pleurez, lamentez-vous, Nornes désespérées !
Ils sont venus, les jours des épreuves sacrées,
Les suprêmes soleils dont le ciel flamboiera,
Le siècle d’épouvante où le Juste mourra.
Sur le centre du monde inclinez votre oreille :
Loki brise les sceaux ; le noir Surtur s’éveille ;
Le Reptile assoupi se redresse en sifflant ;
L’écume dans la gueule et le regard sanglant,
Fenris flaire déjà sa proie irrévocable ;
Comme un autre déluge, hélas ! plus implacable,
Se rue au jour la race effrayante d’Ymer,
L’impur troupeau des Nains qui martèlent le fer !
Asgard ! Asgard n’est plus qu’une ardente ruine ;
Yggdrasill ébranlé ploie et se déracine ;
Tels qu’une grêle d’or, au fond du ciel mouvant,
Les astres flagellés tourbillonnent au vent,
Se heurtent en éclats, tombent et disparaissent ;
Veuves de leur pilier, les neuf Sphères s’affaissent ;
Et dans l’océan noir, silencieux, fumant,
La Terre avec horreur s’enfonce pesamment !
Voilà ce que j’ai vu par delà les années,
Moi, Skulda, dont la main grave les destinées ;
Et ma parole est vraie ! Et maintenant, ô Jours,
Allez, accomplissez votre rapide cours !
Dans la joie ou les pleurs, montez, rumeurs suprêmes,
Rires des Dieux heureux, chansons, soupirs, blasphèmes !
Ô souffles de la vie immense, ô bruits sacrés,
Hâtez-vous : l’heure est proche où vous vous éteindrez !


samedi 25 janvier 2014

Hyakunin isshu 48

Minamoto no Shigeyuki






Au vent furieux
les flots qui battent les rocs
ne brisent que moi
en ce temps que les soucis
de toutes sortes m'accablent

Poème amoureux qui compare les sentiments passionnés aux flots tempétueux et la femme sourde à un roc insensible, cette pièce de Shigeyuki exprime de manière codifiée la lyrique malheureuse de l'époque Heian.


La série de l'Ogura Hyakunin Isshu présente le poème associé à la figure d'O-kiku. Ce personnage issu d'une légende urbaine met en scène une servante qui eut le malheur de briser une soucoupe de son maitre, bien précieux puisqu'il s'agissait de porcelaine de Delft, témoin des quelques échanges entre le Japon et l'Europe.

Le parallèle se fait à travers le troisième vers qui rapproche le bris du corps amoureux avec celui de la fine porcelaine ainsi que le terme kiku qui rappelle le nom du personnage mais qui peut aussi signifier "entendre" (en référence au bris). 

Selon les versions, le maitre, dédaigné par la jeune servante, décide de la piéger puis la jette dans un puits. Dans d'autres versions, c'est elle-même qui se suicide dans ce lieu, se sentant déshonorée.


Et c'est alors que chaque nuit le fantôme de la jeune femme apparait, comptant inlassablement les soucoupes jusqu'à arriver au chiffre fatidique : un cri retentit et le spectre disparait dans un bruit de vaisselle brisée. Le manoir demeurera hanté durant plusieurs décennies rendant chaque propriétaire fou à cause de la voix obsédante de la victime...








vendredi 24 janvier 2014

Human beatbox, Médiathèque Tarentaize, saint-Etienne (42)

Un humain dans le son...


Bon, un petit détour par la média de Tarentaize à Sainté...avec Rewind, un jeune artiste hip hop qui nous a présenté le beatbox...What? Et bien, vous avez déja sûrement entendu ces sons improbables qui sortent d'une simple bouche humaine. C'est intrigant derrière un écran et bluffant lorsqu'il s'agit d'une performance live.

L'artiste stéphanois a fait un petit détour par certains exemples de ce style musical avant de nous parler de son travail qui mêle différentes tendances et influences : de la soul  au classique en passant par les artistes américains.



Un moment sympathique qui prouve que le monde du hip hop est un univers bien moins univoque qu'on le croit qui laisse l'expression libre à tous et toutes...en témoignent les Boxettes, groupe anglo-saxon assez fascinant :


Rewind sera en concert au théâtre du Chambon-Feugerolles le 28 février avec une chanteuse britannique!
A suivre...

dimanche 19 janvier 2014

Hyakunin Isshu Poème 55

Kinto Dainagon
Renom et poésie...





Voici bien longtemps
que le bruit de la cascade
s'est interrompu
seul son renom jusqu'à nous
a suivi le cours du temps

Poème qui met en scène le problème de la renommée, cette pièce imprime l'importance de la poésie, des arts qui pérennisent le souvenir de ce qui a été. Si une cascade peut disparaitre, que penser du destin des hommes? Kinto insiste ainsi sur le pouvoir de l'art à un double niveau : celui d'arrêter le temps pour ce qui est chanté mais aussi pour celui qui crée. Après tout, la plupart des auteurs du recueil ne sont plus que des noms dont on ne connait plus rien, à l'instar de cette cascade disparue dont seul le nom demeure.


Le portrait de Yukihime (j'ai déja fait un billet au sujet de cette histoire) présente l'héroine prisonnière de Daizen qui lui demande de dessiner un dragon. le pouvoir de la jeune fille est de donner vie à tout ce qu'elle produit et le méchant espère obtenir un dragon qui l'aidera à éradiquer ses ennemis.
Toutefois, la jeune femme demande de voir un de ces monstres car elle dit ne pouvoir dessiner ce qu'elle ne connait. Le tyran utilise l'épée magique du père de Yuki et à sa vue, elle se rend compte que Daizen a tué son père. 
L'estampe utilise le poème de Kinto avec la référence à la cascade mais aussi avec l'idée du renom qui est symbolisée par l'épée paternelle qui ne peut s'oublier malgré la mort du propriétaire.


Dans la série de comparaisons avec des beautés, Kunisada présente une jeune femme jouant du yaukin, sorte de cithare à cordes frappées. La référence à la musique fait écho au concept de renom : on peut entendre l'instrument sans le voir comme le renom de la cascade perdure malgré la disparition du site.

samedi 18 janvier 2014

Le Crépuscule des dieux 1 : Erda

Erda et l'avenir...

Erda de G Lemercier

Déesse primordiale qui lit et connait l'avenir, Erda est un personnage à part dans la mythologie nordique ainsi que dans l'oeuvre de Wagner. Seul personnage à mettre en garde Wotan contre la puissance de l'anneau (au contraire de Loge qui fait son apologie), cette divinité mystérieuse intervient lors de la quatrième scène de l'Or du Rhin.



Comment tout était, je le sais;
comment tout devient,
comment tout sera,
je le vois aussi:
du monde éternel
l'UrWala,
Erda, avertit ton courage!
Trois des filles,
créées dès l'origine,
je les ai mises au monde :
ce que je vois,
les Nornes te le disent de nuit...
Tout ce qui est prend fin!
Un jour sombre
se lève pour les dieux :
je te le conseille, fuis l'anneau!
Or du Rhin, Quatrième scène

Personnage marginale de la tragédie, elle est à la fois la déesse-mère et la spectatrice du destin. Ayant enfanté les Nornes, divinités du temps, elle connait tout ce qui fut, est et sera comme le répète la Tradition et les textes de l'Edda. Elle empêche les dieux eux-mêmes de savoir ce qui leur arrivera car, originalité nordique, ces êtres divins sont aussi commandés par une instance supérieure à laquelle ils ne peuvent échapper.

Erda apparait ainsi comme la lectrice du monde qui ne peut intervenir dans la course du Temps, ce qui en fait un personnage à la fois inquiétant et dramatique.


jeudi 16 janvier 2014

"Hybridations et sens augmentés" de Scénocosme, La Serre, Saint Etienne (42)

Vivant et cybernétique


Hybrider le vivant qu'est la plante et la technologie est une tentation qui peut faire reculer plusieurs d'entre nous. L'ancienne opposition Nature/Culture hante encore nos esprits et explique, en partie, cette réticence.

C'est contre cette appréhension que Scénocosme se dresse et présente des travaux qui transforment la plante en élément interactif dans les termes technologiques. Cette réflexion présente ainsi un monde à la fois étonnant et pas si étrange que cela : l'inertie de la plante n'est qu'un leurre!



A travers des travaux qui se fondent sur des végétaux ou du bois, le couple met en avant l'aspect vivant et réactif des mondes que l'Humain peut penser inertes. Cette démonstration n'est pas sèche mais peut se montrer sensible et poétique comme l'arbre et ses battements de coeur ou encore amusante à travers les plantes interactives à la manière d'animaux domestiques.


La sensualité est aussi interrogée à travers l'importance du tactile et des sens qui sont mis en alerte à travers les divers dispositifs présentés à La Serre.

Une expo du 16 janvier au 15 février :

http://www.scenocosme.com/index.htm

dimanche 12 janvier 2014

Expo "Mt.Fuji in Ukiyo-e: Ukiyo-e from the Collection of Ōta Memorial Museum of Art ", Tokyo

Mont Fuji et Nouvel An...



Inscrit au Patrimoine mondial par l'Unesco en juin 2013, le Fuji est et fut un site emblématique au pays de Soleil Levant. Alors que les habitants multiplient les voyages et visites au cours du XIXème siècle, les artistes de l'estampe japonaise s'emparent de ce motif qui connait un engouement croissant durant le siècle.


Hokusai et Hiroshige, parmi d'autres, sauront mettre en scène et en vedette la montagne sacrée. Si le premier insiste sur les vues cocasses et inventives, le second réfléchit à l'inscription du relief dans la vie quotidienne des hommes.
Les deux auteurs, par leur traitement différent, symbolisent deux tendances du paysage qui connaitront les faveurs du public : Hokusai imprimera son style à travers le poétique et l'imaginatif alors qu'Hiroshige tentera d'imposer une vision plus prosaique mais aussi plus comique du Mont Fuji.




Une petite excursion en images jusqu'au 26 janvier :

http://www.ukiyoe-ota-muse.jp/H2601ukiyoefujisan-E.html

Hyakunin Isshu Poème 75

Fujiwara no Mototoshi

En ce début d'année, c'est parti pour une revue des poèmes du Hyakunin isshu et pas dans l'ordre mais au gré de la fantaisie...


Rosée sur l'armoise
la promesse que me fîtes
était ma vie même
las voilà de cette année
automne déjà enfui

Cette pièce de facture et d'images toute classique peut se lire comme la plainte d'une personne que l'on n'a pas visitée malgré une promesse ou bien, dans le domaine amoureux, comme le regret d'un amour inassouvi qui attend malgré un serment brisé. L'automne, dans les pièces de cette époque, évoque la fin de la vie et la proximité de la mort.


 Dans la série de femmes comparées aux poèmes, Kunisada présente une Beauté en costume automnal (voir dernier vers) qui tient une branche d'armoise dans une main alors qu'elle porte un chapeau de voyage dans l'autre : le chapeau évoque ainsi la visite alors que le mouvement du personnage se retournant nous fait hésiter sur l'intention réelle de la jeune femme.



La version de l'Ogura Hyakunin isshu présente Chubei et la courtisane Umegawa en fuite : le jeune homme, coursier de son état, a volé différents clients afin de racheter la liberté de la jeune geisha. Il est découvert et doit se cacher : ainsi, il rentre dans son village et se cache de son propre père qui est visible à l'arrière-plan.

La fin tragique des amants fait écho à l'image des gouttes sur l'armoise alors que le paysage automnal de cette estampe reprend le dernier vers ainsi qu'il signifie la mort prochaine du couple.

samedi 11 janvier 2014

Kiyohime

Désir et transformation...


Lorsque les yeux de Kiyo hime, jeune fille d'un petit village ou, dans certaine version, danseuse itinérante croisent ceux d'un jeune pèlerin, l'amour s'empare entièrement du coeur du personnage. Cette passion, hélas, n'est pas partagé et le jeune homme promet de revenir voir Kiyo hime alors qu'il sait qu'il réalisera le contraire!

La passion et le désir étouffent et ils poussent Kiyo à traverser le lac qui la sépare de celui qu'elle aime...et la jeune fille de devenir serpent : 



Au temple Dojoji, le jeune homme est alerté par la venue de ce monstre du désir. Il est aidé par les moines qui le cachent sous la cloche immense du lieu saint. Mais qu'importe les obstacles, Kiyo hime entoure l'objet et le feu de la passion brûle la cloche et les corps des deux personnages se mêlent à la fonte; ultime mixtion des corps...


Base d'une pièce de noh Musume Dojoji, cette histoire cristallise l'interrogation sur le désir et son assouvissement ainsi que sur les transformations qu'il peut faire subir à son objet.


mercredi 8 janvier 2014

Expo Tony Cragg, MaM St Etienne (42)

Sculpture et formes

Jusqu'au 5 janvier s'est tenue une exposition du grand sculpteur Tony Cragg au MaM de St Etienne : assez logique me direz-vous puisque c'est dans ce lieu que l'artiste a proposé sa première grande exposition en France en 1981!



La particularité du style de Cragg, c'est le travail sur  le volume et le jeu avec l'oeil : tournez autour d'une oeuvre et vous pourrez découvrir un travail polymorphe qui est sujet de surprise. Le côté organique de la sculpture est aussi une empreinte forte de l'artiste. La forme est au coeur du questionnement de Cragg, représentant le rapport de l'homme et de l'artiste à la réalité.


De même, c'est le travail sur la matière qui fait de l'oeuvre de Cragg un véritable tour de force. Que ce soit le marbre ou le bois, l'artiste travaille la matière de sorte à l'interroger et la transformer. Du coup, le spectateur est en proie à un véritable questionnement sur la chair même de la sculpture.


Un beau moment qui fait appel à la sensibilité et à la réflexion du public....

http://www.mam-st-etienne.fr/index.php?rubrique=31&exposition_id=230

vendredi 3 janvier 2014

Madame Butterfly de B Lacombe

Opéra et papillons


Depuis Novembre, le nouveau Benjamin Lacombe est arrivé. Autant le dire tout de suite, c'est un très bon album!

 
 
L'auteur s'inspire de manière libre de l'opéra de Puccini : il est allé voir dans les textes qui ont pu inspirer le musicien comme le Madame Chrysanthème de Loti et a laissé de côté en bonne partie le livret de l'œuvre originale. 



Lacombe fait la part belle au lyrisme et à une certaine sensualité que Puccini n'avait pas autant mis en avant. Le personnage de Pinkerton lui aussi est plus nuancé et on aurait tendance à moins le détester que sa version scénique.

Le Japon inspire l'auteur non seulement par l'illustration mais encore par le format : l'album se déplie dans les deux sens et peut se présenter à la manière d'un paravent qui dévoile de nouvelles illustrations dans les tons de bleu et noir qui éclaire d'une autre manière la version de Lacombe :


Comme toujours, les couleurs sont fortes et riches, le trait soigné et l'atmosphère profonde et souvent oppressante, signe d'une catastrophe imminente à chaque page. Des souvenirs d'estampes sont visibles comme dans cette illustration qui s'inspire très librement du Rêve de la femme du pêcheur d'Hokusai :



Et pour ceux qui auraient la chance de se trouver à Paris d'ici le 11 janvier, la galerie Maghen organise une expo autour des derniers travaux de l'illustrateur :

http://www.danielmaghen.com/fr/exposition-benjamin-lacombe_e106.htm

 

jeudi 2 janvier 2014

Expo Wagner, musée Berlioz, La Cote St André (38)

Une légende et son image


Wagner s'invite chez Berlioz : à travers plusieurs salles sont évoqués les relations (froides) entre les deux hommes ainsi que le Grand Œuvre du musicien allemand via des séries d'illustrations. C'est une petite rétrospective en images et en musique (l'audioguide vous conduit d'extrait en extrait) qui retrace les péripéties du Hollandais volant, de Lohengrin ou de la Tétralogie.

 
 Des illustrations de Fantin-Latour à celles de l'artiste Doepler, le XIXème contemporain de Wagner est bien représenté. Quant à la dernière partie, elle présente le travail de deux dessinateurs de BD : Djief et G Lemercier (l'un québecois, l'autre breton) qui ont travaillé sur une série : Le crépuscule des dieux qui s'inspire à la fois du texte médiéval mais aussi de l'univers wagnérien.


Nous sont présentés des planches, des dessins préparatoires aux différents albums....C'est certainement la partie que j'ai le plus appréciée car cela fait plusieurs mois que je suis le travail de Gwendal Lemercier et c'est toujours un plaisir de voir des originaux!
Un beau dialogue des deux artistes qui utilisent les sources historiques mais qui savent aussi moderniser le trait, ce qui permet de teinter l'univers du Ring d'accents d'heroic-fantasy!

 
 
Plus que quelques jours pour vous y rendre jusqu'au 6 janvier!

 

mercredi 1 janvier 2014

Voeux 2014

Des vœux pour 2014
 
Lemercier, Fille du Rhin et anneau
 
 
Et pour débuter l'année, une représentation d'une Fille du Rhin qui s'amuse avec l'anneau des Nibelungen : merci à G Lemercier pour cette œuvre en ce début 2014.
 
Pour les puristes, certes, les Filles du Rhin gardent l'or et non l'anneau mais je trouvais l'idée intéressante de coupler une gardienne de la pureté du trésor avec son résultat maléfique...
 
Souhaitons donc ce qui en vaut la peine sans se laisser séduire par les sirènes de la facilité : à méditer en ce 1er janvier!
 

 
 


Celtie

Le vent dans la harpe... 
 
 
 En ces temps hivernaux, petit détour à travers l'imaginaire celtique avec ce très beau dessin de barde  par G Lemercier.  
 
L'illustration dépeint un personnage mi mélancolique mi farouche. Sa posture épouse à la fois les lignes de la harpe ainsi que celles de la roche sur laquelle il est placé. Ces sinuosités sont encore accentuées par ses cheveux dont le vent se joue : le mystère plane et s'intensifie au moyen des dégradés rouges et gris qui dépeignent un monde crépusculaire...
 
Si la poésie de ces hommes a en grande partie été perdue, puisqu'orale, certains écrivains ont tenté de retrouver le chant celte. C'est le cas de McPherson, poète écossais du XVIIIème, qui va recréer une poésie celte, attribuant cette œuvre au barde légendaire Ossian; toute une mode est alors lancée et les Romantiques réutiliseront cette veine afin de sonder les sentiments et tourments de l'âme humaine.
 
Quelques extraits de Dargo, traduits par Chateaubriand himself! :
 
 Dargo est appuyé contre un arbre solitaire ; il écoute le vent qui murmure tristement dans le feuillage : l'ombre de Crimoïna se lève sur les flots azurés du lac. Les chevreuils l'aperçoivent sans en être effrayés, et passent avec lenteur sur la colline ; aucun chasseur ne trouble leur paix, car Dargo est triste, et les ardents compagnons de ses chasses aboient inutilement à ses côtés. Et moi aussi, ô Dargo ! je sens tes infortunes. Les larmes tremblent dans mes yeux comme la rosée sur l'herbe des prairies, quand je me souviens de tes malheurs.
 
L'histoire des temps qui ne sont plus est pour le barde un trait de lumière ; c'est le rayon de soleil qui court légèrement sur les bruyères, mais rayon bientôt effacé, car les pas de l'ombre le poursuivent ; ils le joignent sur la montagne : le consolant rayon a disparu. Ainsi le souvenir de Dargo brille rapidement dans mon âme, de nouveau bientôt obscurcie.
 
 
 
Et si cette ambiance vous plait, une petite musique de harpe par le groupe Faun (d'accord les paroles sont en ancien français et en allemand mais l'ambiance est assez proche!).