mercredi 27 mai 2015

Poésie et illustration 13 : Barbara de Prévert


Les ruines de la mémoire...

Un texte écrit après les bombardements de Brest, témoin des vies disséminées et détruites par les folies de l'Histoire. Prévert met en scène le quotidien anéanti ou en suspens avec lyrisme et hargne face à ces lignes de faille qui engloutissent des êtres perdus dans les méandres de la déraison contagieuse....Un texte qui possède encore une actualité brûlante dans bon nombre de parties du monde...

G Lemercier

Barbara

Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là
Et tu marchais souriante
Épanouie ravie ruisselante
Sous la pluie
Rappelle-toi Barbara
Il pleuvait sans cesse sur Brest
Et je t'ai croisée rue de Siam
Tu souriais
Et moi je souriais de même
Rappelle-toi Barbara
Toi que je ne connaissais pas
Toi qui ne me connaissais pas
Rappelle-toi
Rappelle-toi quand même ce jour-là
N'oublie pas
Un homme sous un porche s'abritait
Et il a crié ton nom
Barbara
Et tu as couru vers lui sous la pluie
Ruisselante ravie épanouie
Et tu t'es jetée dans ses bras
Rappelle-toi cela Barbara
Et ne m'en veux pas si je te tutoie
Je dis tu à tous ceux que j'aime
Même si je ne les ai vus qu'une seule fois
Je dis tu à tous ceux qui s'aiment
Même si je ne les connais pas
Rappelle-toi Barbara
N'oublie pas
Cette pluie sage et heureuse
Sur ton visage heureux
Sur cette ville heureuse
Cette pluie sur la mer
Sur l'arsenal
Sur le bateau d'Ouessant
Oh Barbara
Quelle connerie la guerre
Qu'es-tu devenue maintenant
Sous cette pluie de fer
De feu d'acier de sang
Et celui qui te serrait dans ses bras
Amoureusement
Est-il mort disparu ou bien encore vivant
Oh Barbara
Il pleut sans cesse sur Brest
Comme il pleuvait avant
Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé
C'est une pluie de deuil terrible et désolée
Ce n'est même plus l'orage
De fer d'acier de sang
Tout simplement des nuages
Qui crèvent comme des chiens
Des chiens qui disparaissent
Au fil de l'eau sur Brest
Et vont pourrir au loin
Au loin très loin de Brest
Dont il ne reste rien.


Un grand merci à Gwendal....Brestois dans l'âme!

jeudi 14 mai 2015

Special Exhibition "Hiroshige and Kiyochika -100th Year Memorial Exhibition of Kiyochika", Musée Ota, Tokyo (Japon)


Regards croisés...


Centenaire de la mort de Kiyochika, cet événement permet au musée Ota de faire une rétrospective de celui que l'on considère comme le dernier représentant de l'ukiyoe. Cette exposition fait jouer les regards et les représentations : à travers des vues de Tokyo, c'est un dialogue entre la manière traditionnelle d'Hiroshige et la manière occidentalisée de Kiyochika; car si seulement une génération les sépare, c'est tout un monde qui a basculé entre temps avec des codes de représentations qui ne peuvent faire l'économie de l'ouverture du pays.


C'est pour cela que nous est rappelé l'importance du dessin et de la couleur (le Bleu Hiroshige) dans la popularisation de l'estampe japonaise auprès du public occidental ainsi qu'auprès de nombreux artistes, créant en partie la mode et le courant japoniste. On le remarque, Kiyochika demeure le témoin et le chantre de la tradition mais dans un décor qui évolue comme les techniques et le trait : plus tout à fait Edo et pas encore la Tokyo hypermoderne, la nouvelle capitale imprime les recherches et les interrogations de la société nipponne face à ses nouveaux rapports avec l'Ouest.


Ce climat mouvant et pourtant poétique plaira à un auteur célèbre, Nagai Kafu, qui prendra l'artiste comme modèle de peintres qu'il mettra en scène. De plus, ce sont des estampes de Kiyochika qui serviront de support à certains paysages de Tokyo dépeints dans ses romans.


Un dialogue de regards jusqu'au 28 mai : 
http://www.ukiyoe-ota-muse.jp/H270405hiroshigekiyochika-E.html

dimanche 3 mai 2015

Poésie et illustration 12 : Chevaux de frise d'Apollinaire


Grande Guerre...

G lemercier
Un souvenir de guerre qui témoigne de fantaisie et de sentiments : Apollinaire transforme, comme à chaque fois, une vision triviale ou dérisoire en véritable fusée et éclair poétique. Il faut encore noter le côté ludique des images et des mots alors que la situation est loin d 'être agréable ou risible (il est alors en pleine guerre sur le front) ainsi que l'image apaisée de l'amour, vision pas toujours aussi calme et tendre dans l'oeuvre du poète.


Pendant le blanc et nocturne novembre
Alors que les arbres déchiquetés par l’artillerie
Vieillissaient encore sous la neige
Et semblaient à peine des chevaux de frise
Entourés de vagues de fils de fer
Mon cœur renaissait comme un arbre au printemps
Un arbre fruitier sur lequel s’épanouissent
Les fleurs de l’amour
Pendant le blanc et nocturne novembre
Tandis que chantaient épouvantablement les obus
Et que les fleurs mortes de la terre exhalaient
Leurs mortelles odeurs
Moi je décrivais tous les jours mon amour à Madeleine
La neige met de pâles fleurs sur les arbres
Et toisonne d’hermine les chevaux de frise
Que l’on voit partout
Abandonnés et sinistres
Chevaux muets
Non chevaux barbes mais barbelés
Et je les anime tout soudain
En troupeau de jolis chevaux pies
Qui vont vers toi comme de blanches vagues
Sur la Méditerranée
Et t’apportent mon amour
Roselys ô panthère ô colombes étoile bleue
Ô Madeleine
Je t’aime avec délices
Si je songe à tes yeux je songe aux sources fraîches
Si je pense à ta bouche les roses m’apparaissent
Si je songe à tes seins le Paraclet descend
Ô double colombe de ta poitrine
Et vient délier ma langue de poète
Pour te redire
Je t’aime
Ton visage est un bouquet de fleurs
Aujourd’hui je te vois non Panthère
Mais Toutefleur
Et je te respire ô ma Toutefleur
Tous les lys montent en toi comme des cantiques d’amour et d’allégresse
Et ces chants qui s’envolent vers toi
M’emportent à ton côté
Dans ton bel Orient où les lys
Se changent en palmiers qui de leurs belles mains
Me font signe de venir
La fusée s’épanouit fleur nocturne
Quand il fait noir
Et elle retombe comme une pluie de larmes amoureuses
De larmes heureuses que la joie fait couler
Et je t’aime comme tu m’aimes
Madeleine


vendredi 1 mai 2015

Water is Memory, stade hippique, Vichy (03)


Mémoire de l'eau...

C'est le début d'une quinzaine riche grâce au Procédé zèbre qui propose diverses activités autour de la mémoire collective et de la Seconde guerre...en terroir vichyssois, le questionnement prend un sens fort de par le fort passé de la ville durant la période.


Une première exposition de photos de réfugiés de la Débâcle prises entre juillet et novembre 1940 : ce sont des milliers de personnes qui transitent par le stade hippique. Des vies, des regards et des gestes se figent sur la pellicule qui inscrit dans le noir et le blanc des anonymes qui se trouvent jetés dans l'Histoire.


La seconde expo L'Indicible met en scène des clichés pris sur le sable qui évoquent la Mémoire des camps et des victimes de la Shoah : eau, sable, éléments mouvants qui questionnent la représentation de l'horreur des camps et son ressenti sensible. S'ajoute une mise en scène dans les stalles qui évoque le camp et ses barreaux...



Des expos, des événements jusqu'au 17 mai :
http://www.procedezebre.com/

lundi 27 avril 2015

Expo Vues, Musée Estrine, St Rémy de Provence (13)


Visions des Alpilles...


Petit panorama chronologique du paysage des Alpilles au musée Estrine. Si Aix a sa Sainte Victoire, la région des Baux de Provence présente aussi un massif particulier que nombre d'artistes ont représenté depuis le XIX° siècle.


Sur les traces de Seyssaud, Marchand, Chabaud et d'autres, l'exposition veut permettre de mieux comprendre le rapport sensible que les peintres et sculpteurs ont projeté sur ces paysages et lieux; lieux où plane aussi l'hommage à Van Gogh, arpenteur de la région qui ne l'a pas toujours reconnu mais c'est chose oubliée depuis : le musée abrite un bel espace dédié au peintre qui permet de brosser un panorama assez complet de sa carrière.


Certaines commandes ont été passées à des artistes contemporains : ne pas manquer les quelques toiles de Bioulès réalisées à St Rémy ou encore aux abords de Montmajour, véritables hymnes à la couleur et aux formes. 

Jusqu'au 24 mai :
http://musee-estrine.fr/expositions

jeudi 23 avril 2015

Film La maison au toit rouge


Derrière les murs...


Dernier film de Yoji Yamada, cette Maison au toit rouge nous dévoile les secrets d'une famille de la classe moyenne telle qu'elle pouvait se présenter dans l'entre deux-guerres au Japon. Symbole d'une société qui se modernise mais qui n'oublie pas les traditions, la pimpante maison accueille Taki, jeune paysanne que l'on embauche comme bonne.


Tout pourrait aller dans le meilleur des mondes mais les secrets ne peuvent toujours rester cachés et la jeune servante sera témoin de s déboires sentimentaux de sa maitresse à laquelle le personnage s'est vite attaché. Récit rétrospectif de la servante alors octogénaire, on comprend vite qu'une trahison a été fomentée....Oui mais par qui ? Tout l'intérêt du film repose sur ce dévoilement, somme toute classique mais bien mené. 


La peinture du Japon des années Trente, de l'aveuglement (volontaire?) des gens face à l'impérialisme nippon est  très bien décrit : on a parfois l'impression de scènes sorties des romans de Nagai Kafu; quant à la musique, elle prend des airs de certaines mélodies des studios Ghibli dans des animés comme Le château ambulant, où les références à ces années d'avant-guerre étaient aussi sensibles. 
Un beau film à la facture classique qui fait revivre une frange de la société et de Tokyo complétement disparue...



samedi 18 avril 2015

Expo Semblance, Chapelle du Méjan, Arles (13)


Miroirs...


Entre vie et mort, mouvement et quasi extatisme, l'oeuvre d G Oberson plonge le visiteur dans un monde sensible et vaste. Des aquarelles aux dessins, des peintures aux installations (mention spéciale à celles qui utilisent du café moulu, provoquant des sensations olfactives pas si souvent mises en éveil), l'exposition présente quelques travaux récents.


Registre animalier avec des personnages hybrides ou trophées inversés en porcelaine, corps humains qui apparaissent et disparaissent, tant foetus qu'adultes, l'espace d'exploration d'Oberson est vaste : à la fois intime et universel, il interroge les codes de représentation et de rapport au monde sans arrogance ou violence gratuite. 


Son travail entre en écho avec les écrits de Nancy Huston : les deux artistes se sont rencontrés en 2009 et depuis, une réelle complicité semble les lier. Ils présentent ainsi un livre commun Terrestres où reproductions d'Oberson et textes de Huston se côtoient. De même, le dernier opus de l'écrivaine Bad girl possède une couverture illustrée par le peintre.


" Je n’ai jamais croisé une œuvre aussi sincère, sensuelle et violente. Je m’y reconnais. Elle me va droit au cœur." N Huston

Une exposition visible jusqu'au 26 avril : 
http://lemejan.com/programme.htm